Blog des étudiants du Master de La Rochelle.

Le problématique business model de WhatsApp

Depuis la naissance de la plateforme de messagerie, la politique de WhatsApp concernant les données personnelles a considérablement évolué. Et pas d’une façon positive, même si les utilisateurs n’en ont pas conscience…

Par Loïc Vandier, étudiant en Master I Droit du numérique à La Rochelle. Juriste passionné des nouvelles technologies et de la façon dont elles changent notre monde.

« Simple. Sécurisé. Fiable. ». Le slogan de WhastApp est révélateur : à l’origine, ses créateurs souhaitaient offrir une alternative aux SMS, considérant que ces derniers n’étaient pas assez sécurisés. La plateforme utilise ainsi un système de messagerie instantanée chiffrée de bout en bout : « grâce à lui, vos messages sont sécurisés par un cadenas. Vous êtes la seule personne, avec le destinataire, à disposer de la clé spéciale pour débloquer et lire les messages », promettent ainsi conditions générales d’utilisation de WhatsApp (1). Jenna Mc Laughlin, correspondante Cybersécurité de CNN, explique (2) le mécanisme technique : « Le chiffrement de bout en bout déforme les messages en caractères aléatoires et fait en sorte que le message ne soit déchiffrable que par le destinataire, qui possède la clé pour le déchiffrer ». Cette promesse de confidentialité a attiré de nombreux utilisateurs, et aujourd’hui, WhatsApp rassemble plus de 2 milliards d’utilisateurs, ce qui en fait le troisième réseau social au monde, après Facebook et Instagram (3).

Lors de sa création en 2009 par Jan Koum et Brian Acton, deux anciens employés de la société américaine Yahoo!, le financement de WhatsApp est simple : un paiement, facultatif, de 0,99$ est proposé aux utilisateurs. Mais en 2016, Jan Koum annonce l’entière gratuité de l’application pour « ne pas faire obstacle à sa croissance »(4). Mais comment une plateforme gratuite finance-t-elle son fonctionnement (salaires, structures, serveurs, etc.) ?

Il y a bien sûr la possibilité de la publicité intégrée à l’application, un modèle très répandu : « les dépenses publicitaires ont dépassé 295 milliards de dollars en 2021, en hausse de 23 % par rapport à l’année dernière, et devraient atteindre 350 milliards de dollars en 20226. », détaille Admob, le service de Google dans ce domaine (5). C’est notamment le choix fait par TikTok, l’application mobile de partage de vidéo développée par l’entreprise chinoise ByteDance, copiant ainsi la plateforme rivale, Youtube. Les créateurs WhatsApp ont dès le départ refusé ce modèle.

Les achats intégrés constituent une autre méthode de générer des revenus, sans contrarier structurellement le confort d’utilisation. Un document d’Apple explique ainsi « les achats intégrés sont du contenu supplémentaire ou des abonnements que vous achetez dans une app. Il existe trois types d’achats intégrés : les abonnements, les achats non-consommables et les achats consommables. ». L’abonnement est notamment le modèle de Twitch, un service de streaming vidéo en direct : l’abonné a accès aux replays et à du contenu exclusif.  Les achats de consommables et de non-consommables peuvent, eux, prendre la forme de « Mise à niveau vers une version pro » ou de « Pack d’exportation dans un nouveau format de fichier ». Mais là encore, ce n’était pas le modèle souhaité par Jan Koum et Brian Acton. Les deux créateurs de WhatsApp privilégiaient le financement participatif (6), c’est-à-dire l’appel aux dons, une méthode qui existait bien avant l’ère numérique. C’est notamment par ce biais qu’en 1871, le Français Auguste Bartholdi construit une énorme statue d’une hauteur de 93 mètres, pour un total de 225 tonnes. La Statue de la Liberté est ainsi un bien financé par quelques-uns mais profitant à tous, à l’image de Wikipedia et du WhatsApp originel.

Mais la vente de la plateforme à Facebook le 19 février 2014, pour un montant de dix-neuf milliards de dollars, va bouleverser ce modèle. Au départ, Marck Zuckerberg, principal actionnaire de Facebook, promettait pourtant qu’il n’y aurait pas de partage de données : WhatsApp n’emploierait pas les données produites par les utilisateurs, le mode de financement préféré de Facebook, d’Instagram et de Google. Une méthode qui soulève en effet de nombreux problèmes de confidentialité, et de sécurité.

Les données des utilisateurs sont ainsi utilisées pour faire monter les prix des publicités vendues par Meta, le nom du groupe réunissant Facebook, Instagram et WhatsApp. Comme l’expliquaient récemment Bruno Patino dans La civilisation du poisson rouge (7), le sociologue Gérald Bronner dans Apocalypse cognitive : La face obscure de notre cerveau, les données personnelles permettent d’augmenter la précision du ciblage publicitaire par la plateforme. Pour faire simple, plus la plateforme possède de données, plus l’annonceur va être prêt à payer cher, pour toucher son cœur de cible. WhatsApp avec ses 2 milliards d’utilisateurs est ainsi une cible de choix pour Facebook.

Louis Esquier, un vulgarisateur en marketing et communication, décrit ainsi la vente de WhatsApp (8) : « une application qui ne sauvegarde aucune donnée, qui s’en fichait de gagner de l’argent, créée par deux défenseurs de la vie privée, […] rachetée par la plus puissante entreprise de surveillance de masse depuis le début de l’humanité Facebook ». L’affaire Cambridge Analytica et l’exploitation des données personnelles de 87 millions d’utilisateurs Facebook dans les primaires présidentielles du Parti républicain américain de 2016, a également montré comment ces données pouvaient être (mal) utilisées…

Si le patron de Facebook a trahi sa promesse, il a également menti devant le Sénat américain, en expliquant ne pas être concerné par les questions de monopole en rachetant la plateforme WhatsApp, ce qui est plus que contestable au regard des positions d’Instagram, Facebook et de WhatsApp sur le marché. En 2017, la Commission européenne a ainsi infligé une amende 110 millions d’euros à Facebook (9) pour avoir « fourni des renseignements inexacts ou dénaturés au cours de l’enquête que la Commission a effectuée en 2014 […] concernant l’acquisition de WhatsApp par Facebook ».

Le financement de la troisième application de messagerie sociale du monde préoccupe la Commission européenne. Comme le révélait Julien Lausson, journaliste à Numérama, en janvier 2022 (10), la Commission européenne exige de la clarté dans la manière dont WhatsApp actualise ses conditions d’utilisation, et souhaite plus de transparence sur son modèle économique. La Commission européenne a ainsi ouvert une enquête sur META sur le terrain du droit de la concurrence, et sur la mutualisation de ces données (11).

Et aucun utilisateur de Whatsapp ne peut se sentir épargné par ces pratiques. Comme l’expliquait Edward Snowden (12), en disant « le droit à la vie privée ne me préoccupe pas, parce que je n’ai rien à cacher », cela ne fait aucune différence avec le fait de dire « Je me moque du droit à la liberté d’expression parce que je n’ai rien à dire ».

 

1. À propos du chiffrement de bout en bout, Conditions générales d’utilisation, l’équipe de Sécurité de WhatsApp, 20222.

2. Democratic debate spawns fantasy talk on encryption, Jenna McLaughlin, The Intercept, 21 décembre 2015

3. Les sites sociaux les plus populaires en France et dans le monde en 2022, Alexi Tauzin, Blog Tech & Business, 4 septembre 2022

4. WhatsApp devient gratuite, Delphine Le Goff, Site Stratégies/Agence France-Presse, 19 janvier 2016.

5. Les revenus publicitaires sur mobile atteignent 295 milliards de dollars en 2021, Floriane Salgues, Site E-marketing.fr, 12 janv. 2022

6. Web and Tech pour FPF, « Financement participatif ? », Financement Participatif France, Site financeparticipatif.org, 7 mars 2016

7. La civilisation du poisson rouge : petit traité sur le marché de l’attention, Bruno Patino, Le Livre de poche, 27 mai 2020 ; Apocalypse cognitive, Gérald Bronner, PUF, 6 janvier 2021

8. WhatsApp fait de l’argent : la sombre histoire de l’application, Louis Esquier, Youtube, 16 octobre 2022

9 . Concentrations : la Commission inflige des amendes de 110 millions d’euros à Facebook pour avoir fourni des renseignements dénaturés concernant l’acquisition de WhatsApp, Communiqué de presse, Commission Européenne, 18 mai 2017

10. L’Europe n’est toujours pas contente de WhatsApp, La monétisation de WhatsApp questionne, Julien Lausson, Numérama, 13 juin 2022

11. Pratiques anticoncurrentielles : la Commission ouvre une enquête sur un éventuel comportement anticoncurrentiel de Facebook, Commission Européenne, Communiqué de presse, 4 juin 2021.

12. Edward Snowden : the whistleblower behind the NSA surveillance revelations, Glenn Greenwald, Ewen MacAskill et Laura Poitras, guardian.co.uk, 10 juin 2013