Blog des étudiants du Master de La Rochelle.

La technologie est-elle devenue indiscernable de la magie ?

 Par Loïc Vandier, étudiant en Master I Droit du numérique à La Rochelle. Juriste passionné des nouvelles technologies et de la façon dont elles changent notre monde.

« Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ». La célèbre phrase tirée des Trois lois de Clarke,
voudrait qu’aujourd’hui les technologies comme l’intelligence artificielle ou la blockchain, soient devenues tellement
avancées qu’elles se rapprocheraient d’une forme de magie. Cela peut faire peur, mais est-ce vraiment le cas ?

En réalité, comme le décrivait déjà Yuval Noah Harari dans son ouvrage Sapiens : Une brève histoire de l’humanité,
l’homme a évolué de façon pérenne en se constituant une base de connaissances de plus en plus importante. Cette base, est
aujourd’hui remise en cause par certains scientifiques à l’image de Lutz Jänke, Elsbeth Stern et Martin Korte qui, en
s’appuyant notamment sur l’évolution du quotient intellectuel, estiment que de moins en moins de connaissances sont
accumulées par les individus. Ainsi, Homo sapiens sapiens propriétaire d’un iPhone se reposerait sur des technologies « trop
» avancée, qui annihileraient nos facultés intrinsèques, mais est-ce la vérité ?

Pour répondre à cette question, il faut regarder d’où l’on part, et nous partons de loin. En effet, d’un être unicellulaire,
fabriquant des protéines à partir de soleil, nous sommes devenus des mammifères sexués, capables de communiquer entre
nous, point final. L’Histoire est donc plutôt simple, la relation à la communication a toujours été le nerf de la guerre, et
aujourd’hui encore, l’informatique n’est qu’un moyen évolué de communiquer, plus rapide que la lettre ou le pigeon,
permettant de franchir des barrières géographiques plus grandes que le village ou le pays.

C’est donc à partir de cette transmission de l’information que nous nous sommes intéressés à la magie qui émane de la
technologie. Nous avons donc regardé à partir de quand il n’était plus possible de matérialiser intellectuellement une
technologie, et que celle-ci franchissait la douce frontière de la science-fiction. Commençons par la roue, qui illustre
parfaitement une grande évolution technique, permettant notamment de développer l’agriculture pendant l’antiquité, base de
notre civilisation, comme le décrit Bruno Jacomy dans Une histoire des techniques. À la suite de la roue, parfaitement
concevable parce que physiquement palpable, c’est l’imprimerie qui pour certains révolutionne ensuite le monde. Cette
dernière est également concevable, avec une mécanisation assez simple, et un processus compréhensible par n’importe
qui.

À bien y réfléchir, c’est pour nous la calculatrice, qui est responsable de ce décrochage intellectuel. C’est en effet la première
technologie utilisée à grande échelle, d’abord mécanique, puis électromécanique, et devenue électronique. Elle réduit les
capacités de calcul de l’humain à peau de chagrin, en additionnant, soustrayant, divisant plus vite que personne. À partir de
là, l’ordinateur est une calculatrice améliorée. Alors est-ce au XXème siècle que la magie a opéré ?

La réponse est non. Pour la simple et bonne raison que la calculatrice, comme l’ordinateur, repose sur une constellation de
semi-conducteurs, communiquant entre eux par le biais de signaux électriques, donc rien de compliqué. Cela n’est pas de la
magie, c’est techniquement sophistiqué . Le moteur à combustion qui compose nos voitures est complexe, mais parfaitement
compréhensible ; la relation entre l’électricité et une lampe de chevet, est complexe, mais pas impossible, l’intelligence
artificielle et l’utilisation de réseaux de neurones, est complexe mais pas magique. Tout cela n’est que de l’écriture, le code,
l’algorithmique, c’est de l’écriture.

Ainsi, le problème n’est pas la capacité à concevoir nos technologies, c’est paradoxalement, la quantité de connaissances
disponible qui réduit notre capacité à saisir comment les choses fonctionnent. La relation à la connaissance est devenue
taboue dans notre société. L’étude des programmes scolaires se limite à une portion congrue de savoir, qui n’est en réalité
qu’une validation socialement acceptable d’un futur statut social. Pour dire simplement, les élèves n’étudient pas, ils
apprennent bêtement, ils ne savent pas, ils recrachent !

Louis-Ferdinand Céline a ainsi écrit « l’amour, c’est l’infini mis à la portée des caniches », à l’image de l’amour, la
connaissance est à la portée de n’importe quel canidé aujourd’hui. Pourtant certains s’interrogent quand même sur la mise à
disposition d’internet gratuitement, cela permettrait à tout un chacun de se cultiver gratuitement. Mais, l’histoire a prouvé
que d’ouvrir les bibliothèques n’a pas forgé une nouvelle génération intellectuelle, internet n’a fait que reproduire ce modèle.
À l’image d’un élève de primaire qui regarde les images au lieu de lire le texte d’un livre, homo sapiens sapiens ne regarde
plus que l’écran, sans comprendre ce qu’il y a d’écrit.

Sources (par ordre d’apparition dans l’article) :
Profiles of the Future, Arthur Charles Clarke, 1973
Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, Yuval Noah Harari, 2011
Sommes-nous de plus en plus bêtes ? 42, la réponse à presque tout, ARTE, 28 mai 2022
● BINET ALFRED (1857-1911), Jacques PERSE, Encyclopædia Universalis
Une histoire des techniques, Bruno Jacomy, 1990
Nano-informatique et intelligence ambiante: inventer l’ordinateur du XXIème siècle, Jean-Baptiste Waldner, 2007
Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline, 1932
Internet et la culture de la gratuité, Serge Proulx, Anne Goldenberg, Revue du MAUSS 2010/1 (n° 35), pages 503
à 517
Histoire des bibliothèques, d’Alexandrie aux bibliothèques virtuelles, Frédéric Barbier, 2013
L’école conservatrice : Les inégalités devant l’école et devant la culture, Pierre Bourdieu, Revue Française de
Sociologie, vol. 7, no 3, juillet 1966, p. 325
Les Héritiers, Pierre Bourdieu, 1964
Les bibliothécaires sont-ils vecteurs d’inégalité ?, Vincent Goulet, 63ème congrès de l’Association des
Bibliothécaires de France ABF, 16 juin 2017
Des pauvres à la bibliothèque, Serge Paugam et Camila Giorgetti, enquête au Centre Pompidou, Paris, Presses
Universitaires de France, 2013, 185 p.