Communiqué de presse FnTc

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Facture électronique : état des lieux par Cyrille Sautereau

 

L’expertise de Cyrillle Sautereau dans le domaine de la facture électronique n’est plus à démontrer :  fondateur d’un des premiers opérateurs de facturation électronique dans les années 2000 (Deskom, aujourd’hui Cegedim), il est également Président du Forum National de la Facture Électronique et des Marchés Publics Électroniques (FNFE-MPE) depuis 2015, mais aussi rapporteur du standard franco-allemand Factur-X, et acteur de la normalisation en tant que membre du CEN TC434 en charge de la norme EN16931… Aujourd’hui dirigeant d’Admarel Conseil, il nous livre un état des lieux de la facture électronique, et de son adoption par les entreprises françaises.

 

Quand a été créé le FNFE-MPE ? Quels sont les objectifs de l’organisation ?

Le FNFE-MPE a été créé en 2012 pour permettre la concertation entre tous les acteurs publics et privés français, et être force de proposition dans la définition des réglementations, des politiques publiques et toute mesure incitative concernant le déploiement de la facture électronique et des marchés publics électroniques en France. Il y avait dès 2010 un forum européen sur ces thématiques, qui appelait des échelons nationaux, que nous avons donc créé en France. Puis en 2016, peu après la loi Macron, qui prévoyait dans son article 222, de rendre obligatoire la réception des factures électroniques pour toutes les entreprises privées, nous sommes devenus une association. Depuis sa création, le FNFE-MPE a contribué à une intense réflexion sur les aspects normatifs de la facture électronique, mais aussi sur l’interopérabilité, les bonnes pratiques, les évolutions de la réglementation, la formation et la communication pour accompagner l’adoption, … Nous représentons également la France au Forum Européen Multiartitie de la Facture Électronique, et développons une forte coopération avec le forum allemand, notamment sur la gamme de standards hybrides de la supply chain (Factur-x, Order-X pour la commande et Deliver-X pour la livraison).

La réception de la facture électronique sera obligatoire dès le 1er juillet 2024 : les entreprises vous semblent-elles prêtes ?

Cela dépend de la taille des sociétés : les grandes entreprises ont conscience que c’est une thématique importante, les entreprises de taille intermédiaire (ETI), un peu moins. Quant aux PME, il reste un travail considérable pour faire connaître le sujet. L’on peut constater également que la réforme n’est pas encore comprise dans sa globalité, il y a une connaissance de plus en plus grande du volet e-invoicing, mais c’est plus incertain concernant l’e-reporting … Les entreprises françaises aujourd’hui sont donc loin d’être prêtes. Un vrai travail pédagogique doit être mené : toutes les entreprises sont concernées par cette réforme, et il faut que les dirigeants et entrepreneurs en prennent conscience, cela relève aujourd’hui de l’urgence.

Comment les entreprises se préparent-elles à l’adoption de la facture électronique ?

La première étape consiste à choisir comment les factures électroniques seront réceptionnées au sein de l’entreprise. Les grandes sociétés se demandent par exemple si elles passeront par un prestataire de dématérialisation partenaire (PDP), ou si elles créent leur propre système interne, voire utilisent directement le Portail Public de Facturation. Une réflexion qui n’est pas facilitée par le fait qu’aujourd’hui on ne sait pas encore quelles entreprises seront certifiées PDP, ni ce que sera exactement leur périmètre d’action… Ces incertitudes amènent de la complexité, même si certaines grandes entreprises ont déjà bien avancé sur cette réforme, comme le montre les retours d’expérience exposés lors de la dernière Journée de la Facture électronique organisée par le FNFE-MPE le 5 avril dernier.

 Comment les plateformes partenaires de dématérialisation (PDP) aideront-elles les entreprises dans cette transition ?

Leur rôle sera primordial puisque les PDP devront contrôler les factures et les rejeter en cas de contrôle négatif, extraire les données exigées par l’administration fiscale et lui transmettre, localiser la PDP du destinataire, qui pourra être le PPF et lui transmettre la facture. En réception, elle devra recevoir et contrôler la facture, le cas échéant la convertir d’un format à l’autre en respectant l’intégrité du contenu, produire une version lisible, transmettre la facture au destinataire et gérer un minimum de statutd ‘avancement de la transmission et du traitement (le cycle de vie). De plus, elle aura la charge de la mise à jour de l’annuaire national en ce qui concerne ses propres clients (rôle d’enregistrement). Mais pour les candidats PDP, il reste des incertitudes : quel niveau de sécurité et qualification sera exigée : a priori ISO27001 et très certainement SecNumCloud sur l’hébergement des données, sachant qu’il y a peu d’hébergeurs à ce niveau de qualification ; quel périmètre précis des obligations réglementaires des PDP versus ce qui relève de leur liberté d’offre de services, sachant que les spécifications externes publiées décrivent surtout le périmètre fonctionnel du PPF (Portail Public de Facturation) ; quel sera le périmètre exact de l’audit auquel elles devront se soumettre. Tout ceci devrait être précisé dans le ou les décret(s) d’application et le ou les arrêté(s) annoncé(s) pour fin septembre / début octobre de cette année, et probablement aussi au travers des BOFIP qui suivront.

Quelle est la différence entre opérateur de dématérialisation et PDP ?

Les opérateurs de dématérialisation (OD) sont des acteurs qui accompagnent les entreprises pour la mise en œuvre de la réforme, soit en amont par exemple par la création des factures au bon format, des contrôles divers pour garantir une bonne qualité de données, effectuer des rapprochement entre facture et paiement (lettrage), …, et en aval pour la réception et le pré-traitement, le rapprochement avec les commandes et les réceptions ou le rattachement à des contrats, l’intégration comptable, … et plus généralement la gestion des processus achat / vente hors transmission des factures que seuls les PDP et le PPF peuvent faire. Les OD sont peu présentes dans les spécifications externes car elles n’ont pas d’obligations réglementaires. Elles sont libres du périmètre de leur offre. Elles peuvent utiliser le PPF pour faire émettre ou faire recevoir les factures de leurs clients. Elles peuvent aussi passer par des PDP partenaires. Dans le cas où une entreprise fait le choix de plusieurs PDP, en réception comme en émission, un OD peut aussi jouer un rôle de concentrateur / distributeur de flux de factures et de statuts de traitement pour offrir une vision de l’ensemble des flux (et notamment aussi ceux qui sont hors périmètre de la réforme comme les factures B2B internationales).

Bien que concentré réglementairement sur l’échange des factures et la concentration des déclarations de e-reporting, nombre de PDP pourront aussi offrir l’ensemble des service décrits ci-dessus ce qui en fera des OD augmentés des fonctionnalités PDP.

Facture électronique avec piste d’audit fiable, facture avec signature électronique, EDI : parmi les trois méthodes de la facture électronique, l’une d’elles est-elle privilégiée par les entreprises ?

L’EDI (échange de données informatisées) est la principale méthode utilisée aujourd’hui pour des factures dites structurées (format de fichier structuré en XML ou EDIFACT), puisqu’une fois mise en place elle facilite la traçabilité et l’authenticité des factures électronique. Mais les trois méthodes continuent effectivement de s’appliquer. Il faut toutefois noter que les factures sont conformes a priori avec l’EDI et la signature électronique. Avec la piste d’audit fiable, il s’agit de respecter des principes et un niveau de documentation, qui dépend de la taille des entreprises et de la complexité de leur organisation et qui est apprécié au moment du contrôle fiscal avec une certaine subjectivité. En cas de non-conformité constatée et on pourrait dire « appréciée » par le contrôleur, c’est la déductibilité de la TVA qui peut être mise en jeu. En utilisant les deux autres méthodes, dont la conformité peut se mesurer « a priori » du fait de la précision des exigences informatiques, la conformité globale est plus facilement et définitivement acquise, ce qui n’empêche pas de devoir démontrer la relation entre une facture et la livraison dont elle est l’objet, mais facture par facture sur demande et pas de façon systémique pour arguer de la conformité fiscale.

L’on peut constater que la réforme a tendance à fusionner ces méthodes, notamment parce que les PDP assureront le suivi de l’ensemble des factures reçues et envoyées, avec une liste de suivi qui se fera donc naturellement et ressemble fort à une liste récapitulative. Le fichier des partenaires est assez natif puisqu’il s’agit de toutes ses contreparties. Toutes les mentions obligatoires dont la présence doit être vérifiée dans le mode EDI le seront par les PDP ou le PPF. Il y a une obligation pour les PDP de fournir une représentation lisible complète des factures sous format structuré, ce qui est aussi une obligation du mode EDI. Il n’est pas impossible que les PDP doivent sceller les mentions obligatoires extraites ou un hash de la facture reçue ou convertie pour en garantir une certaine intégrité, ceci se faisant souvent par l’utilisation d’un cachet électronique ou d’une signature électronique. On assite donc plutôt à une convergence des traitements conduisant à la mise en œuvre de toutes les exigences des 3 modes.

Quels sont les bénéfices que peuvent attendre les entreprises en adoptant la facture électronique ?

Aujourd’hui, les entreprises ont peu de données dans leur système d’information, avec actuellement seulement environ 15 % de factures électroniques sous format structuré échangés après 30 ans de déploiement. Grâce à la facture électronique obligatoire, elles disposeront très rapidement d’une grande richesse de données (au moins les mentions obligatoires, qui permettent déjà beaucoup d’automatisation). Les systèmes d’information, qui sont déjà très riches en fonctionnalités, sont sous exploités car mal nourris en données. Un peu comme des moteurs qui tournerait à bas régime et à qui on fournirait subitement un carburant à haute performance. Ceci permettra une gestion plus intelligente, plus prédictive, en capacité de détecter des signaux faibles, notamment grâce à la systématisation des statuts liés au cycle de vie de la facture, avec une plus grande traçabilité et une amélioration du recouvrement. Cela permettra également le développement d’offres pour améliorer l’approvisionnement, de la commande au règlement (Order to Cash / Purchase to Pay), et une déclaration de TVA plus fluide, sans compter sur la capacité de certaines plateformes concentratrices de flux de proposer de la valeur ajoutée issue d’analyse d’informations de factures anonymisées. Une fois mise en place, la facturation électronique permettra aussi une gestion plus facile, car plus assistée par des automatismes de système d’information.  

Avec la facturation électronique, de nombreuses données confidentielles circuleront, y a-t-il des craintes sur la sécurisation de ces échanges ?

Je m’intéresse aux thématiques liées à la facture électronique depuis trente ans, et je n’ai jamais entendu parler d’attaque massive dans ce domaine. Avec la garantie Secnumcloud en plus pour le PPF et les PDP, les risques sont plus que limités. Si des hackers réussissent à attaquer une PDP, ils auront un suivi des factures traitées, des index mais pas facilement les factures elles-mêmes. Ceci devrait être apprécié dans les audits réguliers qui seront exigés. L’architecture en Y, associant des PDP et le PPF est aussi une protection, sachant par ailleurs que les données transmises à l’administration via le PPF seront en fait en back end du PPF, c’est-à-dire très sécurisé normalement. Il ne faut donc pas minimiser l’enjeu qui est réel, mais pas non plus en avoir une vision cataclismique.

Quel est le rôle des Tiers de confiance dans cette mise en place de la facture électronique ?

Il est essentiel puisque les PDP sont des tiers de confiance, et ils seront les seuls à pouvoir émettre et recevoir des factures, avec le Portail Public de Facturation. Mais le rôle de ces prestataires de confiance ne s’arrête pas là : ils pourront aussi jouer un rôle dans l’enregistrement de leurs clients, participant ainsi de façon systémique aux obligations KYC / KYS des entreprises, sur l’archivage, la maîtrise des données, et l’identité numérique à terme, voire l’identité numérique substantielle qui sera probablement exigée ou considérée comme bonne pratique pour accéder aux factures et au suivi de leurs traitements. Les Tiers de Confiance et la FnTC, la fédération qui les rassemble, seront donc primordiaux pour permettre aux entreprises une mise en place et une utilisation maîtrisée de la facturation électronique.

 

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