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Droit et innovations digitales : quels enjeux pour la confiance numérique ?

Jean-François Bauvin

Jean-François Bauvin

Jean-François Bauvin, président de la Fédération des Tiers de Confiance du numérique et Directeur général de l’Adec accordait il y a quelques semaines un entretien au magazine « Communication Commerce électronique » pour expliquer les enjeux et priorités du secteur de la confiance numérique.

Pouvez-vous nous présenter la Fédération des Tiers de Confiance du numérique ?

La Fédération des Tiers de Confiance du Numérique (FnTC) est née en 2001, à la suite de la publication de la loi « portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique », elle avait alors vocation à structurer les échanges numériques naissants, autour des deux piliers : signature électronique et archivage électronique. Elle s’est depuis affirmée comme l’une des organisations les plus actives et influentes du secteur numérique.

Aujourd’hui, la FnTC regroupe plus de 160 adhérents qui prennent une part active dans la définition, la mise en œuvre et la promotion de la confiance dans l’économie numérique : des éditeurs de logiciels, des prestataires de services numériques, des experts, des professionnels réglementés, des start-up, des institutions et des utilisateurs des services de confiance.

Ensemble, nous œuvrons avec un souci constant d’éthique à la croisée du droit et de la technologie que ce soit dans les domaines historiques de la dématérialisation (signature électronique, archivage électronique, facture électronique, vote électronique, e-finance), mais également dans les secteurs émergents :  Blockchain, KYC, Cachet électronique visible (CEV), e-santé, identité numérique…

Nous organisons sur ces thématiques des groupes de travail, qui produisent sous la forme de « guides » une importante doctrine. Plus de trente fascicules ont ainsi été publiés sur l’archivage électronique, la signature électronique, le vote électronique, la traçabilité, la numérisation fidèle de documents, le KYC…

La Fédération participe également à la normalisation nationale et internationale, organise régulièrement des afterworks, des webinaires, et a co-créé un Master de Droit numérique au sein de l’Université de La Rochelle. Enfin nous accompagnons les institutions publiques sur les enjeux de la digitalisation, en répondant aux appels à contributions et en dialoguant avec les Ministères.

La Fédération mène toutes ces actions avec une ambition simple : définir et promouvoir les bonnes pratiques du numérique, pour que les entreprises et les particuliers puissent bénéficier d’une digitalisation fiable et sereine.

Quels sont les enjeux actuels de la confiance numérique ?

J’évoquais à l’instant les entreprises ; la Fédération se penche depuis plusieurs années sur un changement radical qui va rapidement toutes les concerner : la facture électronique. À partir du 1er juillet 2024, toutes les sociétés françaises devront pouvoir réceptionner les factures dans ce format. Dans le sens de l’émission, le déploiement sera progressif, et le 1er janvier 2026, les TPE et PME devront avoir adopté la facturation électronique.

C’est un changement presque sociétal, qui implique de nouvelles pratiques numériques, économiques et juridiques…  La FnTC est particulièrement légitime face à des problématiques aussi larges : nous réunissons ainsi le Conseil national de l’Ordre des Experts-comptables, qui connaît évidemment les pratiques comptables des entreprises, des prestataires informatiques, qui ont vocation à seconder l’Etat dans l’émission, la réception et la transmission des factures électroniques, mais également des juristes, des experts numériques, des banques, des prestataires de moyen de paiement, des utilisateurs… L’hétérogénéité de nos adhérents permet une approche holistique.

Nous appliquons également cette méthode de travail à la cybersécurité, un impératif en termes de confiance numérique. La multiplication des cas de ransomwares ou d’attaques sophistiquées sur des sites d’établissements hospitaliers, de collectivités locales, d’entreprises ou d’institutions montrent que c’est une lutte permanente, qui appelle des réflexions globales et une actualisation constante de l’état de l’art et des bonnes pratiques.

En cas de fuite de données, il y a ainsi des procédures à mettre en place notamment par rapport au Règlement général de protection des données. Un groupe de travail de la Fédération définit depuis plusieurs années les bonnes pratiques en termes de gestion des données, ce que cela implique pour le propriétaire des données, le sous-traitant, la conservation au fil du temps…

Avec l’élargissement croissant des pratiques numériques dans nos vies, il est crucial d’établir des bonnes pratiques, de les faire connaître et de les mettre en œuvre, et c’est dans ce but que la Fédération participe à plusieurs organismes de normalisation comme l’Afnor en France ou l’ISO au niveau mondial. Chaque innovation numérique doit être encadrée pour que naisse la confiance.

A ce sujet, l’intelligence artificielle qui intègre progressivement les pratiques entrepreneuriales, fait bien sûr partie des enjeux actuels du numérique. Il est fondamental que le déploiement de cette nouvelle technologie soit entouré de garde-fous éthiques, et cela fait naturellement partie des missions de la Fédération.

La mise en place de la blockchain, une technologie aux nombreuses potentialités, est également un enjeu fort dans le secteur numérique, la Fédération a ainsi mis en place un groupe de travail avec la Fédération française des professionnels de la Blockchain pour étudier des cas d’usage précis (identité numérique, preuve, paiement, archivage, etc.). Le législateur européen va d’ailleurs consacrer la blockchain comme service de confiance dans un prochain règlement, eIDAS v2. Un texte d’autant plus important qu’il prévoit également la mise d’une place de l’identité numérique en Europe, ce qui constitue une révolution pour les pratiques du secteur, mais également pour les démarches quotidiennes des citoyens.

Pourquoi l’identité numérique s’apparente-t-elle à une révolution ?

Le nouveau règlement eIDAS prévoit qu’en 2023, chaque État membre de l’UE doit offrir un Digital Identity Wallet à tous les citoyens qui en expriment le souhait.  Cela dépasse en fait le cadre d’une simple carte d’identité digitalisée puisque ce qu’on appelle le « wallet », le portefeuille en français, sera également composé d’attributs choisis par l’utilisateur (comme l’âge, le permis de conduire, les dossiers de santé, les diplômes, les données financières, un éventuel mandat pour une personne publique…).

Ce moyen d’identification et d’authentification numérique sûr, fiable, interopérable à l’échelle de l’UE ouvre la voie à une nouvelle ère d’accès transparent aux services pour les citoyens, tandis les entreprises seront en mesure d’améliorer l’expérience des utilisateurs, et de réduire la bureaucratie et les frais généraux.

Le fait de pouvoir relier de façon certaine, via un contenu cryptographique au sein d’un stockage sécurisé, une identité et une transaction ou un attribut, va impacter toutes les transactions digitales. Le règlement européen prévoit par exemple un lien direct entre moyen d’identification et services de confiance qualifiés (signature ou cachet) : les utilisateurs pourront donc utiliser via ce portefeuille une signature électronique qualifiée ce qui constitue une aubaine pour certains secteurs d’activité comme les banques ou les assurances, avec moins de risques de fraudes documentaires et une lutte contre le blanchiment d’argent facilitée.

Ce portefeuille assure de plus au citoyen un contrôle des données qu’il partage, il peut choisir par exemple de ne transmettre que les données nécessaires à la transaction. C’est une manière pour l’Europe, et pour l’usager, de reprendre le contrôle sur les « data », confisquées actuellement par les Gafam.

L’ampleur du projet demande une réflexion globale, et des discussions avec des acteurs du monde numérique, des juristes, des entreprises, et des citoyens. La Fédération a commencé ce travail autour de l’identité numérique, et entend bien le poursuivre, pour s’assurer que sa mise en place soit pertinente et bénéfique pour les personnes privées comme les personnes morales. C’est un dossier considérable pour la FnTC dans les prochains mois, mais la digitalisation de nos quotidiens est telle que ce ne sera assurément pas le seul.

L’entretien est disponible dans « Communication Commerce électronique » de Février- Mars 2023, disponible à cette adresse.